Quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de violences… physiques, psychiques, sexuelles mais aussi économiques. Les associations appellent le gouvernement à agir pour mettre fin à ces « actes odieux ». Et « parce que la surexposition des violences faites aux femmes handicapées appelle des réponses spécifiques », la délégation aux droits des femmes a décidé de mener une étude à ce sujet. Quatre co-rapporteurs devront faire état des dangers auxquelles elles sont confrontées et surtout mesurer leur impact. Ils ont tenu à rappeler l’importance de cette mission lors d’une table-ronde consacrée aux violences faites aux femmes handicapées, le 6 décembre 2018, au Sénat.
Besoin de statistiques
Roland Courteau, sénateur de l’Aude (PS), Chantal Deseyne, sénatrice d’Eure-et-Loir (LR), Françoise Laborde, Haute-Garonne (RDSE) et Dominique Vérien, Yonne (UC) sont tenus de rédiger le rapport qui devrait être publié à la fin du premier semestre 2019. Mission numéro 1 : établir des « données genrées ». Tous les acteurs présents sont unanimes : l’absence de statistiques est inacceptable. « Nous travaillons dans le flou sur une question fondamentale. Aucune politique publique ne peut être menée correctement si elle ne repose pas sur un savoir fiable et exact de la situation. Il y a urgence à cerner cette vulnérabilité très spécifique ! », affirme Jacques Toubon, le Défenseur des droits (DDD). Les chiffres sont nécessaires car ils reflètent une situation et en révèlent la gravité. « Nous en avons besoin pour mieux appréhender le réel et l’ampleur du réel », explique Ernestine Ronai, co-présidente de la commission « Violences de genre » du Haut conseil à l’égalité. Pour Pascale Ribes, vice-présidente d’APF France handicap, le problème réside dans le fait que Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, « ne parle pas des femmes handicapées, et ne pas les citer est le meilleur moyen de les oublier ». La sénatrice Annick Billon évoque « un angle mort de la politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes » suivi d’une « prise de conscience ».
Un mutisme croissant
Les dernières enquêtes ont été menées il y a plusieurs années et « manquent parfois de précision », déplorent-ils d’une même voix. Au point que les chiffres se contredisent puisque l’Agence européenne des droits fondamentaux estime que seulement 34 % des femmes handicapées seraient victimes de violences. Parmi elles, 61 % déclarent avoir subi un harcèlement sexuel. Les plus vulnérables : les jeunes de moins de 25 ans. L’Office national de la délinquance révèle que celles de 18 à 75 ans qui vivent en couple affichent un taux de violence beaucoup plus important que les femmes « valides », alors que les taux des hommes handicapés et « valides » sont équivalents. Le conjoint est donc à l’origine de nombreuses agressions. Malgré une hausse des plaintes pour agression sexuelle, le DDD assure ne pas « avoir été saisi ». Même constat pour Brigitte Ricout, présidente de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA) : « Les femmes les plus exposées aux agressions sexuelles n’appellent pas notre numéro d’écoute ,le 0140470606 ». Une absence de réaction qui révèle leur difficulté à parler. Pour Pascale Ribes, « elles ont tendance à minimiser ce qu’elles subissent ». Ernestine Ronai pense qu’elles « ont du mal à dénoncer ces actes car elles sont souvent en situation de dépendance ». Les femmes doivent donc être informées sur leurs droits, notamment en cas de violences au foyer et au travail. « Il faut lancer une campagne de formation sur l’accueil de ces personnes, rendre accessible tous les établissements qui reçoivent les femmes victimes de violence et lancer une campagne nationale car les violences viennent de stéréotypes profondément ancrés », affirme le DDD.
Former tous les professionnels
Quels facteurs les rendent particulièrement vulnérables ? Pour Pascale Ribes, deux raisons principales : elles ont moins de possibilité de se défendre et l’usure de l’aidant familial peut conduire à des négligences, voire de la maltraitance ; de même que les conjoints peuvent perdre patience. Mais les proches ne sont pas les seuls à faire usage de la force ou à les rabaisser, les éducateurs et autres professionnels qui se chargent d’elles au quotidien dans les centres spécialisés, ainsi que les gendarmes et policiers, ne les accueillent pas toujours comme il se doit. « Il faut les former car ce sont eux qu’elles iront voir en premier pour déposer plainte », réclame Jacques Toubon. Pour Ernestine Ronai, il faut former tous les acteurs qui gravitent autour d’elles : des agents d’accueil des MDPH (maison départementale des personnes handicapées) aux assistantes sociales en passant par les soignants (kiné, psychologue, infirmier…). « Ces derniers sont l’un des premiers secteurs à agresser sexuellement les femmes handicapées, révèle-t-elle. Une jeune femme avec un handicap mental travaillant dans le restaurant d’un ESAT m’a raconté que son patron lui disait, tous les jours, ‘Dis camion !’, avant de lui toucher les seins. Elle a mis du temps à en parler car elle voyait tout le monde rigoler. Les professionnels doivent pouvoir nommer les choses et là, en l’occurrence, c’est une agression sexuelle passible de 5 ans de prison. Il ne doit plus être possible de travailler avec des personnes handicapées sans être capable de repérer tout type de violences ». Ainsi, elle condamne l’humiliation, la disqualification devant les enfants, la dévalorisation (« Tu ne vas pas y arriver, « Tu l’as mal fait donc je suis obligé de le faire »), autant que les violences physiques, psychiques, administratives et financières.
Des solutions existent
Pour tenter d’y mettre fin, Ernestine Ronai recommande les kits de formation élaborés par la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences) composés d’un court-métrage, un livret d’accompagnement et de fiches spécifiques à certaines professions. Ces outils (en lien ci-dessous) s’adressent à l’ensemble des professionnels susceptibles d’intervenir auprès des femmes victimes de violences : santé, social, éducation, sécurité, justice, etc. Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées, partage ces recommandations et préconise notamment de renforcer la coordination entre l’Etat et les associations, favoriser l’éducation sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux, signer une convention entre les deux numéros d’écoute 3919 (violence femmes info) et 3977 (contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées). Elle ajoute : « La déconstruction des stéréotypes et de l’autocensure s’impose ». Pour toucher le plus grand nombre, Pascale Ribes estime qu’il faut également sensibiliser les médias. « Les chaînes d’information, par exemple, doivent inviter les femmes handicapées sur leur plateau pour participer à n’importe quel débat et pas seulement quand il est question de handicap. » Des initiatives qui ont pour vocation de donner la parole à celles qui l’ont perdue ou ne l’ont jamais eue.