Le séminaire « Construire une histoire du handicap et de la surdité à travers les siècles » a été mis en place dès 2021 à partir d’un constat : alors que les synthèses sur l’histoire du handicap et de la surdité à toutes les époques historiques se multiplient actuellement dans la littérature anglo-saxonne, aucun ouvrage collectif recouvrant ces deux champs d’étude n’a été publié dans la sphère francophone depuis le début des années 2000.
Les tentatives pour rassembler la communauté scientifique s’intéressant à l’histoire du handicap et de la surdité de l’espace francophone n’ont pas pu aboutir et les réseaux existants se structurent plutôt autour de thématiques particulières (cécité, surdité) ou se limitent à une période historique (comme le XXe siècle).
Par exemple, l’histoire du handicap et celle de la surdité à l’époque contemporaine ont pris des chemins divergents. Du côté de la surdité, l’historiographie a fondé ses approches sur une conception socio-anthropologique des sourds et de la langue des signes en laissant le concept de surdité rivé à une histoire médicale de la déficience ou tout au moins, à une histoire de catégories technico-institutionnelles et à sa critique. Du côté de l’histoire du handicap, une partie de la recherche s’est centrée sur l’histoire institutionnelle du handicap et sur les politiques publiques de sa prise en charge. La Deaf History et la Disability History, ont construit ainsi leurs propres réseaux scientifiques internationaux et leurs propres épistémologies avec une certaine distanciation, voire parfois de manière hermétique. Si les histoires du handicap et de la surdité s’entremêlent au cours de l’époque contemporaine (l’origine de l’éducation des sourds et des aveugles remonte au XVIIIe siècle, les sourds luttent d’ailleurs aux côtés des aveugles pour conquérir le droit à une éducation gratuite, laïque et obligatoire au cours des années 1930), les historiographies de l’une comme de l’autre ne se croisent que rarement.
Ce séminaire mensuel a pour objectif de remédier à ces états de fait, en faisant converger des historien·e·s qui, depuis les vingt dernières années, renouvellent les deux champs de recherche par des approches, des méthodes et des objets nouveaux.
Concernant la période médiévale, par exemple, la plupart des ouvrages publiés jusqu’à présent sont soit des études approfondies centrées sur des cas particuliers, soit des propos assez généraux sur la société étudiée. De plus, les thématiques centrales divergent selon les époques : les chercheurs intéressé·e·s par les époques médiévale et moderne prêtent un intérêt considérable au poids de la religion, ce qui n’est pas le cas pour l’époque contemporaine. La littérature historique sur la période contemporaine a évolué d’un intérêt pour les politiques publiques, l’action des institutions éducatives, celle des associations ou la trajectoire biographique ou l’action des grands personnages historiques (médecins, éducateurs), vers des approches transnationales ou davantage biographiques, ou vers des approches plus intersectorielles, prenant en compte le genre ou la race. Dans le paradigme intersectionnel, le « handicap » ne constitue que l’une des multiples caractéristiques identitaires de l’individu. Seuls quelques travaux historiques ont pour l’instant pris en compte ce mode de pensée interdisciplinaire.
Nous souhaitons poursuivre et formaliser l’élan de l’année universitaire précédente, afin de contribuer à la fois à la diffusion des travaux récents ou en cours ; à la formation des jeunes chercheurs ; ainsi qu’à la structuration d’un réseau francophone de recherche sur l’histoire du handicap et de la surdité toutes périodes historiques confondues.
La constitution d’un réseau francophone est d’autant plus urgente que le champ disciplinaire de l’histoire du handicap et de la surdité connaît actuellement un renouvellement considérable des méthodes et des approches scientifiques. Pendant de nombreuses années, le handicap a été considéré sous l’angle de l’histoire sociale de la marginalité, de la pauvreté et de la déviance. Dans les années 2000, les chercheurs ont clairement admis que la signification et donc l’expérience du handicap changeaient au fil du temps dans une culture donnée et entre cultures différentes. La littérature sur le handicap s’est rapidement développée après 2005, en s’appuyant sur une approche qui présente le handicap comme un phénomène socioculturel. Dans ces ouvrages, le handicap est mis en contraste avec la normativité au niveau conceptuel : il est conçu comme ce qui s’écarte des « normes » culturellement constituées à un moment donné. En tant qu’histoire culturelle, l’histoire du handicap et de la surdité doit prendre en compte les continuités et les changements passés, en cultivant une vision à long terme entre les époques préhistoriques et contemporaines, révélant les significations plurielles du handicap et de la surdité à travers les siècles. Elle aurait avantage à considérer également les significations du handicap et de la surdité des territoires non occidentaux, afin de mieux cerner la manière dont les nombreuses vagues de migrations ont interprété le handicap et la surdité. Cette approche culturelle permet aussi de mettre en lumière la participation individuelle et collective des personnes aux rituels sociaux à différentes époques, une participation qui peut aussi être éclairée par des disciplines comme l’archéologie, rarement mobilisées.
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