« Ce n’est pas parce qu’on s’exprime différemment qu’on ne peut pas avoir une prise de parole impactante », cette parole qui est le fondement de nos interactions et de nos décisions. C’est le credo d’un concours d’éloquence un peu particulier qui a fait salle comble le 20 juin 2023 au Grand Rex à Paris. Après les sélections régionales, six finalistes sont en lice pour ce concours d’art oratoire. Ils sont ceux que, d’ordinaire, on n’entend pas, on n’écoute pas… Il y a Jeanne (trisomie 21), Ulrich (bègue), Tiphaine (sourde signante), Ali (sans handicap), Maxence (autiste) et Alexandre (sourd oraliste). Leur objectif ? « Réinventer l’éloquence pour accepter la différence ».
Du bégaiement à tous les handicaps
On doit cette initiative insolite à Mounah Bizri. En 2014, à 21 ans, ce jeune homme cumulant les troubles (avec dysgraphie, dyspraxie, un bégaiement et un TDAH), après avoir passé de longues années à se battre pour accepter son handicap, décide de s’inscrire au concours d’éloquence de son école de commerce. Son bégaiement très marqué -il est parfois incapable de dire deux mots à la suite- rend le défi de taille. Malgré sa terreur de parler en public, il persiste… En 2019, avec une amie, il crée le premier concours d’éloquence pour les personnes qui bégaient, l’Éloquence du bégaiement. En 2023, il devient « Tous éloquents », s’ouvrant à tous ceux qui ont des troubles de la diction avec la ferme intention de « sortir de leur zone de confort » et prouver que « la parole libère le pouvoir d’être unique ». Ces candidats prennent le contrepied et excellent là où personne ne les attend. Mounah Bizri l’illustre à sa façon : « Faire un concours d’éloquence pour un bègue, c’est aussi naturel que de demander à un chat d’aboyer ».
Des prestations bluffantes
Le principe ? Trois thèmes et, pour chacun, un pour et un contre ! C’est Jeanne (doubleuse voix à ses heures, lire : Trisomie 21 : film « Valentina », une ode à la différence), avec trisomie 21, qui ouvre le bal, en rythme et en musique, façon beat box ! La salle exulte… Maxence, autiste, prend le relais, lui qui a mené ces dernières semaine deux défis de front, la préparation à ce concours et au bac avec, quelques jours plus tard, l’épreuve de philo. Ce garçon qui, de son propre aveu, a souvent été défini comme « un peu particulier » fait sensation sur scène. A son tour, Tiphaine, sourde signante, évoque les « masques sociaux » que chacun met sur son visage dans une chorégraphie de signes aussi élégante que convaincante. Et si Ulrich assure qu’il est bègue, rien ne le laisse soupçonner ; il maîtrise son art avec humour et aplomb, affirmant qu’il a accepté son « alter ego, son bégaiement, sa différence », ce qui l’a « rendu plus fort ». Quant à Alexandre, sourd oraliste, il dit « avoir failli ne pas venir ici ce soir à cause de cette petite voix qui lui disait que son discours est nul, pas important ». Et, pourtant, il est bien présent pour interpeller et faire sourire… Il y a enfin Ali, étudiant à l’université Dauphine ; lui le « différent », sans handicap, invite à « transgresser les normes pour être soi-même ».
Sur le fond et pas sur la forme
C’est maintenant au jury de délibérer. Il est composé, notamment, de Delphine Ernotte, présidente de France télévisions, de Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) ou encore de Thomas Bourgeron, chercheur impliqué dans le champ de l’autisme. Les candidats sont évalués sur le fond de leurs discours et non sur la forme. Peu importe que leur parole soit hésitante, qu’ils butent sur les mots -ce qui fut rarement le cas-, peu importe les hésitations et les trous, stress oblige devant un parterre de 2 500 invités. Ils se sont entraînés durant deux mois et ont appris leur texte « par cœur », au sens propre. Adelaïde de Tourtier (PWC), un des partenaires de l’événement, explique qu’elle a ce soir « appris à écouter différemment, avec tous ses sens ».
Que des gagnants !
Maxence déclarait quelques minutes plus tôt : « On dit souvent que l’important c’est de participer. Quand on dit cette phrase, en général, c’est qu’on a perdu ». Cette fois-ci, il n’y aura aucun perdant ; six trophées sont en lice qui distinguent l’émotion, la plume, le courage, l’humour…
Bobino en 2022, le Grand Rex en 2023 alors pourquoi pas le stade de France en 2024, se projettent certains ? Parce que ce concours a, semble-t-il, de grands desseins, après le succès des Rencontres du Papotin (Lire : Papotin : Thomas Pesquet clôture la 1ère saison le 24 juin), interviews de personnalités menés par des journalistes autistes sur France 2, à quand un concours d’éloquence pour tous à une heure de grande « écoute » sur le service public ? Ça tombe bien, la patronne est là…