Commission nationale consultative des droits de l’homme Déclaration sur la politique du handicap en France en lien avec la décision du Comité européen des droits sociaux relative à la réclamation collective déposée par plusieurs associations

Assemblée plénière du 20 avril 2023 (adoption à l’unanimité)

1. En qualité d’Institution française de promotion et de protection des droits de l’homme (INDH), la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a pour mission de  » promouvoir et assurer l’harmonisation des lois, des règlements et des pratiques en vigueur sur le plan national avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme  » (i). Elle promeut notamment l’application de la Convention internationale sur les droits des personnes handicapées (CIDPH) (ii), en tant qu’un des acteurs du mécanisme français de promotion, de protection et de suivi de la Convention, fondé sur l’article 33 de la Convention des Nations unies, en partenariat avec d’autres instances indépendantes.

2. La CNCDH a pris connaissance de la décision (iii) du Comité européen des droits sociaux, institué en vertu de l’article 25 de la Charte sociale européenne, relatives à la réclamation collective (iv) déposée le 14 mai 2018 par le Forum européen des personnes handicapées (EDF) et Inclusion Europe contre la France.

3. La CNCDH, qui avait fait parvenir au Comité ses observations le 4 juin 2020, salue la décision du Comité qui conclut, à l’unanimité, à la violation par la France des articles 11.1, 15.1, 15.3 et 16 de la Charte sociale européenne dans la mise en œuvre d’une véritable politique inclusive.

4. Le Comité considère, tout d’abord, qu’il y a violation de l’article 11 alinéa 1 au motif que les autorités n’ont pas adopté de mesures efficaces dans un délai raisonnable pour remédier aux problèmes persistants d’accès aux services de santé rencontrés par les personnes handicapées. Le même motif est invoqué en ce qui concerne la violation de l’article 15 alinéa 1, relatif aux problèmes persistants de longue date en matière d’inclusion des enfants et adolescents handicapés dans les écoles ordinaires.

5. Par ailleurs, le Comité considère qu’il y a violation de l’article 15 alinéa 3 en raison du manquement des autorités à adopter, dans un délai raisonnable, des mesures efficaces pour l’accès aux services d’aide sociale et aux aides financières, l’accessibilité des bâtiments et des installations, des transports publics, mais aussi à développer une politique coordonnée pour l’intégration sociale et la participation à la vie de la communauté.

6. De même, le Comité constate que la pénurie de services de soutien et le manque d’accessibilité des bâtiments, des installations et des transports publics constituent une violation de l’article 16 du fait des conséquences induites sur de nombreuses familles vivant dans des conditions précaires. Le Comité considère ainsi que la France ne remplit pas son devoir de protection de la famille.

7. Les observations du Comité sont similaires à celles formulées par la CNCDH depuis de nombreuses années (v), et particulièrement dans le cadre de son mandat de rapporteur national indépendant sur l’effectivité des droits des personnes handicapées depuis décembre 2020 (vi). Elles rappellent que les difficultés des personnes en situation de handicap à faire valoir leurs droits sont le fruit d’une définition et d’une conception erronée du handicap de la part des pouvoirs publics. Ceux-ci persistent, en effet, à conserver des approches sectorielles plutôt qu’à privilégier des réponses universalistes par les droits. En ce sens, la France n’a pas encore pris toutes les mesures nécessaires à la destruction des  » barrières  » (vii) qui, selon l’article 1er de la CIDPH, peuvent faire obstacle à la pleine et effective participation des personnes handicapées à la société sur la base de l’égalité avec les autres.

8. La CNCDH réitère son appel à la mise en place d’une politique inclusive d’accès universel visant à l’autonomie des personnes en situation de handicap et à leur participation effective à la vie de la communauté.

9. La position exprimée par le Comité d’experts requiert une transformation profonde de la politique du handicap fondée sur le respect des droits des personnes en situation de handicap. La CNCDH considère que la décision du Comité doit être perçue par les pouvoirs publics comme une chance pour continuer à opérer ce changement de paradigme, autour de quatre axes : a) autonomie, intégration sociale et participation à la vie de la communauté ; b) éducation et formation professionnelle ; c) accès aux services de santé ; d) protection de la famille. La CNCDH, à la suite du Comité, invite à mieux structurer la politique déjà impulsée par la Conférence nationale du handicap et les échéances semestrielles de la feuille de route du Comité interministériel du handicap.

10. En conséquence, la CNCDH exhorte les pouvoirs publics à prendre en compte les observations formulées par le Comité et insiste pour que soit poursuivi le changement de paradigme vers une politique du handicap fondée sur une approche par les droits des personnes en situation de handicap.

(i) Nations unies, Assemblée générale, 20 décembre 1993, Résolution 48/134, Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme ( » Principes de Paris « ).

(ii) Accessible ici : https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-persons-disabilities.

(iii) Décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS) sur le bien-fondé dans l’affaire Forum européen des personnes handicapées (EDF) et Inclusion Europe c. France, réclamation n° 168/2018 : https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/.

(iv) Réclamation n° 168/2018 Forum européen des personnes handicapées (EDF) et Inclusion Europe c. France ; documents accessibles ici : https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/pending-complaints/-/asset_publisher/lf8ufoBY2Thr/content/no-168-2018-european-disability-forum-and-inclusion-europe-v-france. Le Forum européen des personnes handicapées et Inclusion Europe, soutenus par un collectif de cinq associations françaises – APF France handicap, CLAPEAHA, FNATH, Unafam, Unapei – ont déposé une réclamation devant le Conseil de l’Europe pour faire condamner l’Etat français pour violation des droits fondamentaux des personnes handicapées. Pour en savoir plus : https://www.apf-francehandicap.org/sites/default/files/urgencehandicap_reclamation_dp.pdf?token=GIvUhYRK.

(v) Voir notamment : Avis relatif aux actions en faveur de la protection et de la promotion des droits de l’homme pour les personnes handicapées, adopté le 18 septembre 2003 ; Avis relatif à la convention internationale sur la protection et la promotion des personnes handicapées, adopté le 8 mars 2007 ; Avis sur la scolarisation des enfants handicapés, adopté le 6 novembre 2008 ; Avis sur la maladie mentale et les droits de l’homme, adopté le 12 juin 2008 ; Avis relatif aux mécanismes nationaux prévus par la convention relative aux droits des personnes handicapées, adopté le 19 novembre 2009 ; Avis sur le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques, adopté le 31 mars 2011 ; Avis sur les premiers effets de la réforme des soins psychiatriques sans consentement sur les droits des malades mentaux, adopté le 22 mars 2012 ; Avis sur l’effectivité des droits des personnes âgées, 27 juin 2013 ; Avis sur le consentement des personnes vulnérables, adopté le 16 avril 2015 ; Avis sur le droit de vote des personnes handicapées et Avis relatif au droit de vote des personnes sous tutelle, adopté le 26 janvier 2017 ; Déclaration sur la nécessaire garantie par les pouvoirs publics des droits des personnes handicapées, adoptée le 3 juillet 2018 ; Guide pratique sur la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, adopté le 4 décembre 2018 ; Avis sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé, adopté le 30 septembre 2021 ainsi que certains avis abordant également les personnes en situation de handicap : Avis sur l’effectivité du droit à l’éducation dans les outre-mer, adopté le 6 juillet 2017 ; Avis logement : un droit pour tous ?, adopté le 16 juin 2016 ; Avis agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux, adopté le 22 mai 2018.

(vi) CNCDH, Connaître, définir, sensibiliser et combattre les stéréotypes et les préjugés à l’égard des personnes handicapées, adopté le 21 juillet 2021, accessible ici : https://www.cncdh.fr/publications/rapport-sur-les-idees-recues-et-les-prejuges-concernant-le-handicap-en-france.

(vii) CIDPH, Art. 1 :  » Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres « .