Discours, rapports, déclarations, politiques nationale ou européenne, la notion de société inclusive est partout. Elle est associée au concept de désinstitutionalisation.
Dans ce contexte, le Collectif Polyhandicap a souhaité réaffirmer les conditions de réussite d’une société inclusive pour les personnes polyhandicapées.
Qu’est-ce qu’une société inclusive ?
C’est une société ouverte, une société tolérante et respectueuse des singularités. Une société qui permet à chacun de trouver sa place sans exclusion ni discrimination. Une société qui protège les plus fragiles.
Elle ne prend sens que dans le déploiement de solutions adaptées, réfléchies avec les personnes concernées, dans le respect de leurs besoins et de leurs aspirations conjuguées.
La société inclusive n’est pas une société pensée pour tous, mais une société conçue pour chacun.
Société inclusive et handicap
Un grand nombre de personnes en situation de handicap se sentent exclues, entravées dans l’accès réel aux droits, pour la scolarisation, le logement, l’emploi, l’accès aux soins, la culture, les loisirs et les vacances. Elles sont ainsi exposées à l’isolement.
Elles se heurtent de fait à de multiples barrières qui font obstacle à leur pleine et effective
participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (Convention des Nations Unies).
Une société inclusive est celle qui s’emploie à lever toutes ces barrières et met en oeuvre des mesures appropriées pour garantir, loin de tout dogmatisme, la meilleure qualité de vie possible, la participation effective à la vie ordinaire. Notamment par la mise en place des aides techniques et humaines adaptées, d’une accessibilité universelle et d’un accompagnement approprié.
Tout cela relève de décisions politiques et financières, et la route est encore longue.
La société inclusive et le polyhandicap :
Respecter la spécificité du polyhandicap pour ces personnes à la fois si riches et si démunies.
Pourtant, pour les personnes polyhandicapées, aucune suppression de ces barrières ne supprimera les conséquences de leur handicap.
LE POLYHANDICAP EST AUJOURD’HUI PRECISEMENT IDENTIFIE. Pourtant, il reste un handicap très méconnu et mal pris en compte dans le déploiement effectif des politiques publiques. Les familles sont encore trop livrées à elles-mêmes. L’offre médico-sociale d’accompagnement et l’offre sanitaire restent largement insuffisantes, laissant des enfants comme des adultes au bord du chemin, exclus, invisibles, ou contraints à l’exil.
LE POLYHANDICAP EST UNE SITUATION DE VIE BIEN SPECIFIQUE. Si la diversité de profils des personnes polyhandicapées est immense, on peut cependant dégager un certain nombre de traits communs, fréquemment retrouvés :
Une altération sévère des fonctions cognitives et des capacités d’expression, des troubles moteurs majeurs allant jusqu’à la tétraplégie, des perturbations du tonus et une spasticité qui provoquent déformations, troubles orthopédiques douloureux et chirurgies invasives, une épilepsie très fréquente et bien souvent résistante aux traitements, et des troubles de déglutition à l’origine de pneumopathies, pour ne citer que les difficultés majeures et les plus partagées.
Il existe une intrication étroite entre leurs troubles moteurs et leurs altérations cognitives et intellectuelles. L’existence des uns empêche de compenser les autres, ce qui accroit encore leur vulnérabilité.
Au-delà de ces difficultés, on constate un très grand développement émotionnel, une empathie immédiate, une richesse affective touchant parfois à l’extrême qui en fait des enfants, des femmes et des hommes pour lesquels la rencontre, la présence d’autrui est fondamentale.
Cette capacité de perception entraine pour ces personnes un grand besoin de repères stables et de contacts rapprochés, parfois de relations duelles pour y répondre au mieux. La relation à l’autre qui qui qui les connait et aime leur est indispensable, vitale. Cela en fait, malgré leurs difficultés d’expression et leur communication généralement infra verbale, des gens extrêmement attachants.
Leur accompagnement et leur développement nécessitent un étirement du temps qui leur est consacré, tant leur temporalité est particulière, notamment en matière d’apprentissages, scolaire ou non : ils sont capables d’apprendre, mais d’apprendre autrement.
Enfin dans la plupart des cas, il s’agit d’un handicap évolutif qui voit s’aggraver les troubles au fil des ans et entraine une fragilité et un besoin d’accompagnement médical spécialisé et continu accrus.
Tout cela constitue la spécificité du polyhandicap, que l’on ne peut ignorer sous peine de maltraitance, fût-elle involontaire.
C’est en la mettant en lumière qu’on comprend que cette spécificité prégnante du polyhandicap, exige un accompagnement tout aussi spécifique, et réfléchi.
C’est à la société inclusive de s’adapter aux personnes polyhandicapées, d’aller vers elles en se défaisant de toute idéologie « validonormée », en se fondant sur les critères prégnants évoqués plus haut : reconnaissance, repères et stabilité, respect de la temporalité, de l’affectivité, continuité de l’accompagnement, importance donnée aux apprentissages, et soins médicaux et spécifiques.
LIEU DE VIE : l’essentiel, rappelé par la convention de L’ONU est le libre choix, libre choix qui sera généralement celui des parents.
Pour l’enfant, l’adolescent, le domicile « naturel », sauf exception, est le domicile parental. Et s’il est polyhandicapé, les solutions classiques que sont les services d’aide et de soins à domicile et l’établissement médico-social offrent une palette de solutions.
Que ce soit pour les enfants ou pour les adultes, la vie à domicile librement choisie, au domicile des parents ou dans une petite unité de vie au sein d’un habitat classique, doit, pour ne pas constituer un enfermement mortifère, nécessairement s’articuler avec un établissement proche du domicile. Celui-ci comportera un plateau technique, constitué d’une équipe pluridisciplinaire offrant des services de soutien permanents ou ponctuels, des possibilités d’accueil de relais, des solutions de prises en charge d’urgence.
L’établissement médico-social reste, compte-tenu de la fragilité des personnes polyhandicapées et des difficultés ou du vieillissement des familles, un lieu d’accueil primordial. Il se doit d’être ouvert sur la cité et permettre aux résidents permanents ou temporaires d’avoir accès, grâce à un accompagnement adéquat, à l’ensemble des services publics et privés ouverts à l’ensemble de la population.
SCOLARISATION : la temporalité propre au polyhandicap, les difficultés cognitives et de concentration, le besoin de stabilité et souvent de relation duelle, d’attention sans faille de l’enseignant mais aussi le besoin de soins médicaux (par exemple dans les cas fréquents d’épilepsie) imposent des enseignants formés et des Unités d’Enseignement à l’intérieur des établissements. Les enseignants peuvent alors partager expérience et compétences avec les professionnels du médico-social dans un souci de transdisciplinarité continue, et bénéficier de l’appui d’infirmiers spécialisés.
Certains enfants peuvent avoir un accès ponctuel et pour quelques heures à l’école de la République mais cela se réfléchit au cas par cas et non de façon systématique. L’acquisition des socles de connaissance espérée peut s’avérer très longue et à travers le décalage d’âge, produire un effet paradoxal et négatif. Les enfants polyhandicapés sont d’abord des enfants et le risque de mise en échec, de repli sur soi et de troubles divers est bien réel.
Les enfants polyhandicapés ne doivent pas être privés de grandir avec les autres, mais cela ne doit pas se faire à leur détriment. Il existe beaucoup d’autres lieux propices au partage, ludothèques, aires de jeux, piscines, y compris au sein du monde médico-social !!
APPRENTISSAGES, et notamment de la communication : les personnes polyhandicapées malgré leur temporalité particulière demeurent capables d’apprendre tout au long de la vie, comme tout un chacun. Or paradoxalement, alors que leurs besoins s’accroissent, les établissements pour adultes sont beaucoup moins bien dotés que ceux des enfants (-30% en général ; voire davantage) réduisant par là même la qualification et le nombre des professionnels qui y travaillent ; cela obère d’autant les chances des apprentissages de ces adultes. Le fossé sidérant des budgets entre les deux catégories réduit même parfois à néant de façon violente les possibilités de communication des personnes en voie d’acquisition de compétences à 20 ans, et qui, faute de professionnels qualifiés, se retrouvent replongées dans le silence et la difficulté.
ACCES AUX SOINS, la société inclusive a encore bien du chemin à faire, et à nouveau, pour les adultes, l’injustice et la discrimination la plus flagrante sont celles du manque des personnels infirmiers de nuit (H 24) dans les établissements pour adultes, non financés malgré les engagements pris. Notamment pour les personnes gastrostomisées, de plus en plus nombreuses. En l’absence de personnel infirmier de nuit, il faut les nourrir tout au long de la journée, limitant voire empêchant leur participation aux activités éducatives et sociales, ou les renvoyer chez eux au mépris de l’âge et de la fatigue des familles….
La plupart de ces constats et demandes sont déjà dans le Volet Polyhandicap adopté en Décembre 2016.
Le Collectif Polyhandicap demande donc un point sur la mise en oeuvre de la stratégie alors élaborée : peu de groupes de travail sont actuellement à pied d’oeuvre. Bien que 24 fiches-action aient été co-construites entre associations et pouvoirs publics, ce volet, sauf pour sa partie recherche, est resté quasiment lettre morte.
Le Collectif Polyhandicap demande que soit achevé et communiqué le diagnostic territorial prévu comme première mesure du volet polyhandicap, permettant ainsi de faire un état des lieux précis des besoins existants.
Le Collectif Polyhandicap demande que soit menée une véritable politique de création d’accueils en établissement, intelligents, adaptés aux besoins, par petites unités et que soit mis fin aux saupoudrages et extensions qui ne sauraient suffire aux besoins des personnes polyhandicapées. Il existe trop de maintiens à domicile contraints à cause d’une offre médico-sociale insuffisante, de familles épuisées sans relais ni possibilité de répit, de personnes abandonnées sur le bord du chemin. Le « sans solution » existe encore trop largement.
Dans le cas spécifique du polyhandicap, les pôles de compétences ne peuvent s’envisager que comme une complémentarité et non comme une alternative véritable à un accompagnement médico-social de qualité dispensé dans un établissement, et restent une solution transitoire
Le Collectif Polyhandicap demande une scolarisation respectueuse des besoins des enfants polyhandicapés et de leurs capacités réelles, avec un développement des Unités d’Enseignement et des postes d’enseignants à l’intérieur des EEAP.
Le Collectif Polyhandicap demande que soit tenue EN URGENCE la promesse de doter les établissements d’adultes de personnels infirmiers 24H/24, pour que les soins puissent être adaptés aux personnes et non les personnes adaptées à des protocoles.
Le Collectif Polyhandicap demande une mise à niveau spécifique pour les établissements d’adultes pour que cesse cette rupture brutale d’accompagnement dénoncée par toutes les familles et qui ruine les efforts déployés dans les établissements pour enfants.
En définitive, la spécificité des personnes polyhandicapées est telle que le concept de « en situation de handicap » ne leur est pas directement transposable compte-tenu de l’ampleur et de la complexité des troubles de toute nature qui les affectent. Dans ces conditions le « droit commun », même « accompagné », trouve immédiatement ses limites et doit être adapté, aménagé, et le plus souvent se conjuguer avec l’appui d’une structure médico-sociale impérativement ouverte sur la société civile pour satisfaire au concept de société inclusive.
Le 29 octobre 2018