Groupe Polyhandicap France – 11 bis, rue Théodore de Banville – 75017 PARIS
Association Loi 1901 reconnue d’intérêt général et de bienfaisance – Siret 44272459700020
09 53 66 97 39 – www.gpf.asso.fr – @GPFpolyhandicap
Le texte suivant a été élaboré avec :
Catherine Brisse (Médecin Resp CESAP, La Roche Guyon), Jean-François Dagois (Parent), Hélène Frenkiel (Parent), Sébastien Legoff (DG Tout Petits), Bruno Pollez (Médecin MPR, Pdt ARP), JY Quillien (Dir Plateforme Croix-Rouge), Monique Rongières ( Pdte GPF), Galina Rybkine (Parent), André Schilte (Pdt CESAP), Marie-Christine Tezenas (SG GPF) , Lydia Thouvenel (DG CESAP).
LE CONSTAT
Au bout de deux mois de confinement, la situation est devenue très complexe, sans beaucoup de certitudes sur la contamination réelle de la population générale ni sur son immunité. Entre fatigue, angoisses, solitude et difficultés financières, beaucoup de personnes, de familles, de professionnels sont malmenés par cette situation.
La dépendance des personnes polyhandicapées ne permet évidemment pas de respecter les distances de sécurité et entraine des difficultés supplémentaires. Quand les externats ont fermé, quand des parents ont préféré reprendre leur enfant, jeune ou moins jeune, accueilli en internat, les familles n’ont pas pu faire appel à des intervenants extérieurs (inquiétude, incertitudes, insuffisance de matériels de protection, manque de professionnels en ville et autres). En règle générale elles ne sont pas organisées pour faire face à des périodes à domicile aussi longues.
Elles sont souvent fatiguées, voire épuisées ; cela peut accroître les risques de maltraitance, même involontaire ; cela peut, surtout quand les soins extérieurs sont suspendus, la kinésithérapie arrêtée, entrainer une perte d’acquis, des difficultés accrues notamment dans le domaine neuro orthopédique.
Le confinement protège, mais si la vie « normale » reprend peu à peu son cours, la fratrie, si elle existe, représentera un risque de contamination qu’on ne peut ignorer.
Les familles restent inquiètes, souhaitent à la fois protéger leur enfant et le resocialiser, reprendre les activités éducatives, la kinésithérapie, en un mot une vie « normale » avec un accompagnement soutenu par les établissements et services.
LA PRECONISATION : Le CAS PAR CAS
Dans le cadre du polyhandicap, on le sait, on a une très grande disparité de profils, de gravité des atteintes. C’est une population considérée comme fragile. Elle l’est, mais à des degrés très divers.
Les conditions de vie des familles sont évidemment aussi très diverses. Ces disparités importantes font qu’il est aussi absurde que dangereux de décréter une règle unique. D’un point de vue éthique, cela laisserait aussi à désirer.
La balance bénéfice/risques ne peut s’évaluer qu’au cas par cas. Les familles doivent être seules juges et totalement libres de leur choix, aidées si elles le souhaitent par un médecin et les équipes pluridisciplinaires. Elles doivent être soutenues, notamment financièrement si elles ne peuvent reprendre leur travail, et assurées que leur choix n’aura aucune incidence sur l’accueil en établissement de leur enfant, dès que la situation sera « normalisée » ; les arrêts de travail pour les gardes d’enfant handicapé doivent continuer d’être pris en charge.
L’accompagnement du plus grand nombre de personnes possible doit être assuré, quelles que soient ses modalités, en établissement ou à domicile pour éviter les pertes de chance des personnes et l’épuisement des aidants familiaux. Pour certaines personnes polyhandicapées et leurs familles, la reprise peut s’avérer urgente. Il convient, toujours, d’être très vigilant sur la prévention.
PREREQUIS AVANT DE ROUVRIR UN ETABLISSEMENT
Avant toute reprise d’activité, la prévention.
On s’assure qu’aucun professionnel intervenant ne présente de symptomatologie suspecte.
On tient pour acquis que les masques portés en permanence par les professionnels représentent une mesure de protection indispensable pour les enfants/résidents, et on s’assure qu’ils existent en nombre suffisant, qu’il s’agisse des masques FFP1 ou FFP2 (ces derniers indispensables en cas de contamination des résidents. 3 masques chirurgicaux par personnel et par jour et 2 masques FFP2 pour les actes de proximité. L’exigence est la même pour les autres équipements de protection (blouses, charlottes, gants…)
On tient pour acquis que les tests PCR seront en nombre suffisant pour dépister toute personne symptomatique en vue d’un isolement et de soins appropriés.
On teste sérologiquement toutes les personnes avant de les accepter dans les établissements pour savoir si elles ont eu le coronavirus. Bien qu’on ne sache pas à l’heure actuelle si cela garantit une immunité, on s’en assure quand même.
Toutes les mesures d’hygiène nécessaires sont prises, particulièrement en matière de désinfection préalable puis régulière des locaux.
TOUS les professionnels ont suivi une formation en matière d’usage du masque, et en matière de prévention (no touch, attention aux surfaces), y compris ceux qui assureront un accompagnement au domicile, et les chauffeurs qui transportent les externes.
Pour les externats, enfants ou adultes, adossés à des internats, il est souhaitable de s’assurer de l’étanchéité des structures ; il faut notamment séparer voire cloisonner, dans la mesure du possible, les intervenants en cours de la même journée.
REOUVERTURE DES ETABLISSEMENTS ET SERVICES
Dans le champ du polyhandicap, deux maîtres-mots : AUTONOMIE ET SOUPLESSE
Compte tenu d’un certain nombre de contraintes techniques impossibles à maîtriser, il faudra aux professionnels beaucoup de créativité et de rigueur pour réinventer des formes d’accompagnement adaptées, et beaucoup de sagacité pour naviguer à vue parmi les écueils de toute sorte avant de pouvoir adopter un rythme de croisière. La situation est exceptionnelle et demande des mesures exceptionnelles, notamment le maintien des dotations des établissements et services quelles que soient les modalités d’accompagnement demandées par les familles ; ces choix ne doivent pas impacter les budgets des établissements.
Il est nécessaire :
– Que les structures et services fermés rouvrent dès la date de sortie du confinement, pour des accueils progressifs, ajustés aux attentes des personnes et des familles.
– Que les associations et les directeurs d’établissements soient parfaitement libres d’organiser leur accueil à leur guise, en concertation pluridisciplinaire, et avec les familles ; cette mesure permettra à chaque responsable qui connait les personnes accueillies de décider des mesures les mieux appropriées aux spécificités de ce public si particulier.
– Que face à cette situation inédite, aucune norme administrative ne vienne dans cette période intermédiaire borner cette reprise tout aussi inédite, et expérimentale, hormis les normes de sécurité et de protection des personnes accueillies, des professionnels, et des familles.
– Que les résidents soient informés par tout moyen approprié, le plus clairement possible, de la situation, et leur consentement recherché autant que faire se peut.
Les contraintes sont fortes :
– Dans un premier temps les structures ne pourront pas rouvrir dans les conditions d’avant la pandémie. La reprise ne peut se faire que progressivement, à la fois parce que les familles, pour des raisons de sécurité, souhaitent une reprise partielle et parce qu’il est impossible de transporter et d’accueillir simultanément toutes les personnes en respectant les distances de protection.
– Les professionnels sont moins disponibles, inquiets, touchés eux aussi, malades ; avec des charges de travail accrues en raison de l’isolement des personnes suspectes ou malades (ex, habillage du personnel) et de l’obligation d’activités en groupes restreints, voire en « un pour un ». La situation est également difficile psychologiquement et matériellement pour eux.
– Les transports qui demeurent la cheville ouvrière de l’accueil en externat vont demander une organisation très stricte, éventuellement échelonnée pour limiter les contacts et risques.
Nous préconisons :
Que les externats rouvrent et proposent aux familles qui le souhaitent un accueil modulaire et choisi en concertation, à temps partiel (mi-temps, tiers de temps, voire un jour par semaine), ce qui permet à la fois de limiter les risques, de respecter les distances de sécurité dans les groupes et pour les repas, et de mobiliser moins de personnels dans les établissements. Cette réouverture implique que les prérequis soient strictement respectés.
Que les structures du domicile (SAMSAH/ SESSAD) aient les moyens d’accompagner au mieux les familles qui ne voudraient/pourraient pas sortir du confinement. On retrouvera sans doute les plus fragiles au domicile et on ne peut les abandonner, mais il faut au contraire assurer acquisitions, prévention, rééducation et suivi somatique. Le nombre des familles à domicile va augmenter, alors que le nombre de professionnels formés à l’accompagnement au sein de la famille va être constant, voire en baisse. Chaque établissement doit pouvoir travailler la faisabilité de cette solution, réfléchir aux moyens ou allègements nécessaires. Ceux-ci seront différents de ce qu’ils sont habituellement, notamment en termes d’acculturation de nouveaux professionnels au domicile et/ou de formation.
Que les internats puissent décider de proposer un accueil en internat (avec éventuellement deux semaines de « quatorzaine » obligatoire), un « droit au retour » en quelque sorte dans la structure pour les résidents qui étaient restés confinés dans les familles. Ces retours se feront progressivement, et sur la base d’une décision familiale accompagnée de l’avis du médecin traitant, ou du médecin d’établissement, en fonction des possibilités et modalités d’hébergement.
Que les internats puissent disposer de lieux d’isolement pour les personnes infectées, l’hospitalisation ne doit pas être systématique à cause du besoin d’accompagnement et des besoins affectifs des personnes polyhandicapées ;
Que les internats décident eux-mêmes de la levée du confinement, de l’isolement en chambre, de l’autorisation de visites des parents et des possibilités de sortie le week-end en respectant les normes de sécurité générales. Cela doit également se faire au cas par cas ; on sait que parfois les visites peuvent provoquer des troubles du comportement chez des personnes restées calmes jusque-là, ou créer un sentiment de manque. Le problème est différent quand il s’agit de très jeunes internes, mais c’est également à l’équipe pluridisciplinaire d’en décider et d’adopter les mesures les mieux appropriées
Difficulté ponctuelle
Les solutions ponctuelles dans les établissements de répit sont à l’heure actuelle extrêmement difficiles à mettre en oeuvre, notamment parce que ces établissements et locaux concernés sont occupés par des personnes actuellement suspectes (fiévreuses par exemple) ou testées positives et à l’isolement.
En Conclusion
Dans le champ du polyhandicap, cette situation exceptionnelle doit être traitée au cas par cas, en donnant aux établissements la souplesse et toute l’autonomie dont ils ont besoin, pour réinventer un accompagnement approprié aux demandes et besoins des personnes, des familles et des professionnels, dans un contexte de fortes contraintes que personne ne maîtrise vraiment. Nous demandons aux pouvoirs publics pour cette période intermédiaire de laisser les organismes gestionnaires, en concertation au cas par cas avec les familles, adapter l’offre sans normes de fonctionnement, qui ne pourraient qu’entraver l’ajustement de la réponse. Cela n’exclut pas le contrôle.
On ne peut donner d’horizon trop précis, (dont on sait qu’il recule à mesure qu’on avance), mais proposer des mesures pour un mois, à suivre de près, à réévaluer en permanence, et peut être à reconduire jusqu’à l’été, dont on ne sait encore ce qu’il sera ?
Enfin, il faudra bien tirer les leçons de cette fermeture d’établissements « forcée », de ce retour à domicile « subi », et des premières évidences qui s’en dégagent même si on les connaissait déjà : Manque de professionnels et de professionnels spécialisés (IDE, Kinés, orthophonistes), notamment dans les MAS et FAM ; absence de formation des intervenants de toutes sortes en ville, paramédicaux comme auxiliaires à domicile ; et, aussi, manque de reconnaissance, salaires insuffisants et manquant d’attractivité.
Il va nous falloir réinventer demain, et envisager différemment l’évolution de l’offre médico-sociale.