Parmi les différents types d’acteurs sociaux, les aidants familiaux constituent probablement ceux qui apportent la réponse la plus classique à la vulnérabilité des individus, quelle que soit l’origine de celle-ci (une maladie, éventuellement chronique, une dépendance liée à l’âge, un handicap…). Avant que les pouvoirs publics (État, collectivités territoriales…) et les initiatives privées (associations…) ne se mobilisent, la solidarité s’exerce d’abord dans la cellule sociale de proximité que constitue la famille. Pour autant, la problématique de la catégorie d’acteurs que l’on nomme aujourd’hui les aidants renvoie à une réalité bien plus vaste que la seule cellule familiale, comme en témoigne l’expression d’« aidants naturels », utilisée par les médecins. En effet, face aux ruptures que peuvent connaître les parcours de vie, les membres de la famille ne sont pas toujours ceux qui aident, d’autres personnes de proximité jouant parfois un rôle plus important dans l’accompagnement d’une personne malade, dépendante ou isolée (amis, proches, voisins…). Notre propos n’est pas ici de préciser qui sont les aidants ni quelle est leur utilité, ces sujets étant traités par d’autres contributions dans ce numéro, mais de déterminer comment le droit appréhende l’aidant familial, cet acteur incontournable du système sanitaire, social et médico-social. Ce regard du droit sur les aidants non professionnels est essentiel car il est le révélateur d’une des formes d’appréhension sociale du sujet : entre autres, le droit ignore-t-il la question ? L’encadre-t-il de manière stricte ou libérale ? Y est-il favorable ou opposé et selon quelles modalités ?
Pour intervenir au mieux sur la question des aidants, le droit doit prendre en compte plusieurs paramètres centraux. D’abord, aussi évident que cela soit, il faut rappeler que l’aidant est un tiers dans la relation de soins et d’accompagnement. Ce n’est pas l’aidant qui est malade, âgé, en situation de handicap ou de précarité sociale. De ce fait, il n’est pas naturellement protagoniste dans le rapport qui unit le patient ou l’usager aux professionnels. Cela se traduit par exemple par le fait que l’on puisse, par principe en tout cas, opposer le secret professionnel aux aidants naturels dans le cadre d’une relation de soins. Ce n’est en effet que par exception que le droit permet l’accès de ces tiers aux informations qui concernent un patient ou un usager. Ensuite, et de manière liée, l’aidant naturel jouant un rôle central tant pour la personne aidée que pour l’équilibre du système de santé et de solidarité, le droit ne peut pas l’ignorer et doit reconnaître la réalité de son intervention. Cette reconnaissance se manifeste de plusieurs manières, contribuant à une identification sociale plus générale [1][1] Rabeux C., 2014, « La majorité des 8,3 millions d’aidants....
La première manière est la définition de la notion d’aidant naturel. En réalité, il n’existe pas de définition juridique générale mais seulement une délimitation spécifique qui ne concerne que le champ du handicap employant, d’ailleurs, l’expression d’aidant familial. L’art. R. 245-7 du Code de l’action sociale et des familles dispose effectivement qu’« est considéré comme un aidant familial, pour l’application de l’article L. 245-12, le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personne handicapée a conclu un pacte civil de solidarité, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de la personne handicapée, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple qui apporte l’aide humaine définie en application des dispositions de l’article L. 245-3 du présent Code et qui n’est pas salarié pour cette aide ». Malgré sa longueur, cette disposition est intéressante car elle montre que le droit n’a pas toujours une approche globale du sujet et que le point d’entrée jugé prioritaire est le handicap et, plus spécifiquement encore, la prestation de compensation du handicap. Cela ne signifie pas pour autant que la notion d’aidant n’est pas reconnue juridiquement dans d’autres situations, fort heureusement. S’il n’existe pas d’autres définitions, des règles encadrent malgré tout le situation des aidants naturels de façon générale, s’appliquant à des cas variés sans qu’ils soient explicitement visés (maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, cancer, VIH…).
La seconde manière qu’a le droit de reconnaître les aidants naturels est l’attribution de droits et la mise en place de dispositifs qui visent à trouver un équilibre permettant de favoriser l’implication des personnes aidantes pour soutenir au mieux les personnes aidées tout en les en préservant au maximum dans l’intérêt de tous. En quelque sorte, le droit appréhende l’aidant en tentant de soutenir son action, et cela à plusieurs titres.
D’abord, il entend faciliter l’aide en minimisant les conséquences matérielles, financières et professionnelles qu’elle peut induire. Cela se traduit par la mise en place de différents congés comme le congé de solidarité familiale [2][2] Art. L. 3142-16 à L. 3142-21 du C. du travail., le congé de présence parentale [3][3] Art. L. 1225-62 à L. 1225-65 du C. du travail. ou le congé de soutien familial [4][4] Art. L. 3142-22 à L. 3142-31 et L. 6323-2, D. 3142-9..., ces congés pouvant permettre le versement d’aides comme l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie [5][5] Art. L. 168-1 à L. 168-7 du C. Sécurité sociale. ou l’allocation journalière de présence parentale [6][6] Art. L. 544-1 à L. 544-9 du C. Sécurité sociale.. Le temps et l’argent étant le plus souvent des éléments clefs pour l’aidant, l’importance de ces dispositifs est indéniable. Pour autant, ils présentent certaines limites puisqu’une récente étude a pu montrer que les aidants souhaitent le plus souvent conserver leur activité professionnelle, leurs besoins consistant alors davantage à pouvoir bénéficier d’une souplesse d’organisation que d’un congé [7][7] Rabeux C., 2014, « La majorité des aidants n’opère....
Ensuite, l’aide est favorisée en permettant un exercice adapté spécialement par le droit à la formation et à l’information, prérogatives sur lesquelles insistent le Conseil de l’Europe [8][8] Recommandation n° R (98) 9 du Comité des ministres... comme la Charte européenne de l’aidant familial [9][9] Charte rédigée par la Confédération des organisations.... Ces aidants n’étant pas, par nature, des professionnels, leur formation est essentielle pour qu’ils puissent accompagner leur proche au mieux sans se mettre eux-mêmes en difficulté, voire en danger. C’est une condition d’efficacité et de légitimité de leur intervention. Plus concrètement, l’un des exemples est la formation et l’information prévues dans le cadre de l’éducation thérapeutique, laquelle est destinée aux personnes malades, bien entendu, mais aussi à leur entourage, c’est-à-dire aux aidants [10][10] Art. L. 1161-3 du C. santé publ.. En pratique, ce sont souvent les associations qui s’impliquent dans l’organisation et la dispense des formations, à partir d’une identification la plus précise possible des besoins des aidants. Toutefois, ces initiatives privées ne dispensent évidemment pas les pouvoirs publics de s’impliquer ; ainsi, l’une des missions officielles des Agences régionales de santé consiste à veiller à « la qualité et à la coordination des actions de soutien et d’accompagnement des familles et des aidants » – certes pour le seul cas particulier des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques [11][11] Art. L. 3221-4-1 du C. santé publ..
Enfin, le droit facilite l’aide en luttant contre l’épuisement des aidants par la mise en place de structures permettant leur répit. Ces structures sont prévues le plus souvent pour les publics spécifiques que sont les personnes âgées dépendantes, dont celles atteintes de la maladie d’Alzheimer, ou les personnes en situation de handicap par exemple. Il existe deux types d’offre. La première est l’accueil de jour, qui permet d’accueillir une personne dépendante une ou plusieurs journées ou demi-journées par semaine sans hébergement. La seconde est l’hébergement temporaire, lequel, comme son nom l’indique, est organisé sur une autre temporalité puisque la personne dépendante est accueillie dans ce lieu de vie de quelques jours à plusieurs mois. Le type de répit dépend des besoins des aidants, variant selon l’intensité de leur épuisement et, corrélativement, la durée de répit nécessaire. Ces dispositifs de répit semblent cependant insuffisants actuellement et doivent être étendus ; c’est une demande exprimée, par exemple, par le Plan cancer 2014-2019 pour le cas particulier de cette pathologie. Au-delà, les plate-formes de répit jouent également un rôle de soutien, d’information et de conseil des aidants à propos de l’accompagnement qu’ils réalisent.
Sur ce point comme sur d’autres, il est intéressant de noter que le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement [12][12] Projet de loi n° 403 adopté en 1e lecture par l’Assemblée..., actuellement en débat, tend à reconnaître une place accrue aux aidants, notamment à travers la mise en place de trois outils : l’instauration d’une « aide au répit », permettant aux aidants qui accompagnent des personnes très peu autonomes de prendre du repos en finançant l’accueil ou l’hébergement de la personne aidée dans une structure adaptée ; le financement d’un dispositif d’urgence en cas d’hospitalisation de l’aidant ; le développement de lieux de soutien, du type « cafés des aidants ». La place accordée aux aidants familiaux par le droit est donc très probablement appelée à s’accroître.
Rabeux C., 2014, « La majorité des 8,3 millions d’aidants estime ne pas être suffisamment reconnue par la société », Hospimedia, 6 octobre.
Art. L. 3142-16 à L. 3142-21 du C. du travail.
Art. L. 1225-62 à L. 1225-65 du C. du travail.
Art. L. 3142-22 à L. 3142-31 et L. 6323-2, D. 3142-9 à D. 3142-13 du C. du travail.
Art. L. 168-1 à L. 168-7 du C. Sécurité sociale.
Art. L. 544-1 à L. 544-9 du C. Sécurité sociale.
Rabeux C., 2014, « La majorité des aidants n’opère pas de choix entre leur activité professionnelle et l’accompagnement », Hospimedia - 6 octobre.
Recommandation n° R (98) 9 du Comité des ministres aux États membres relative à la dépendance adoptée par le Comité des Ministres le 18 septembre 1998, lors de la 641e réunion des Délégués des Ministres.
Charte rédigée par la Confédération des organisations familiales de l’Union européenne, disponible sur www.cfhe.org
Art. L. 1161-3 du C. santé publ.
Art. L. 3221-4-1 du C. santé publ.
Projet de loi n° 403 adopté en 1e lecture par l’Assemblée nationale le 17 septembre 2014.